Partie 3, Chapitre A
III. Les enjeux importants des Guignols.
A) Les enjeux informatifs.
1) Une actualité sous une autre forme.
Les Guignols de l'information est avant tout un journal télévisé. Ainsi ces « objets » si particuliers font de l'information une priorité.
En effet, les auteurs des Guignols, membres privilégiés du cercle médiatique, sont également consommateurs de médias avant d'en être producteurs. Selon les producteurs de Canal plus, la principale source d'inspiration vient de la radio, des journaux, de la télévision et de tous les autres médias susceptibles de leur donner une quelconque information (aussi boiteuse soit-elle) pour faire une bonne actualité. Toutes les informations des Guignols partent d'une base de nouvelles qui vont être tournées de façon à faire rire.
Ainsi la forme du journal télévisé des Guignols est tout à fait traditionnelle. Ils font des reportages, des interviews sur le terrain ou sur le plateau de télévision, et cela rentre dans leur volonté de paraître un médias comme les autres. Ils s'adaptent aux changements qui se font dans les différents journaux télévisés qu'ils caricaturent. Le choix de la marionnette de Patrick Poivre d'Arvor pour présenter le JT n'est pas anodin. En effet, le présentateur vedette de TF1 communément appelé PPDA est aussi le présentateur du JT des Guignols. Après avoir été licencié par TF1, PPDA garde son poste chez les Guignols mais il est progressivement remplacé le vendredi par Harry Roselmack qui est désormais le présentateur de TF1.
PPDA en train d'interroger Raymond Domenech, ancien sélectionneur de l'équipe de France de football
Les Guignols sont également une formidable source d'inspiration pour d'autres journalistes. Ils font vendre énormément comme le montre ce document:
Ainsi les Guignols font beaucoup parler d'eux. Dans certaines circonstances, ils sont capables, comme un éditorial ,d'utiliser les même ficelles pour déconstruire le «jeu politique». Thierry Pfister, journaliste, écrivain et homme politique français disait régulièrement que «en quelques minutes ces animaux (désignant les guignols de façon humoristique) informent sur la réalité politique mieux que ne peuvent le faire les journalistes». Leur grande performance s'explique aussi par leurs positions concurrentes au niveau actualité des observateurs du champs politique. Ils privilégient une actualité politique héritée du quotidien ou de la culture populaire.
Le journal télévisé est alors un réel rendez-vous d'information selon 53% des personnes interrogées et présente également de nombreuses qualités d'un vrai média de référence.
2) Un spectacle pour faire passer des infos ou de l'intox?
Les Guignols de l'info fondent une grande partie de leur journal télévisé sur le spectacle. Cependant ,les informations qu'ils développent sont « remodelées » de façon à rendre l'actualité plus attractive. Ce remodelage ne nuit-il pas à l'information elle-même?
Tout le spectacle autour des Guignols n'est pas superflu. Chaque marionnette est un spectacle à elle toute seule et permet aux téléspectateurs de comprendre l'actualité sous une autre forme: le physique des marionnettes est modifié en fonction des changements physiques de la personne caricaturée.
Le journal télévisé est un réel spectacle et amène de nombreuses personnes sur le plateau (environ 50 par émissions). A l'occasion de leur vingt ans, les Guignols ont organisé un réel show télévisé en direct et ont ainsi invité de nombreuses personnalités déjà caricaturées. Le spectacle est aussi construit autour des animations du direct (démonstration des marionnettistes, photos sur le plateau,...)
3) Un outil d'apprentissage de la politique notamment chez les jeunes?
Les Guignols de l’info connaissent un réel succès chez les jeunes. Ce que les jeunes apprécient en priorité dans cette émission, c’est évidemment sa dimension ludique et distrayante: «je trouve que c’est marrant» (Olivier); «c’est distrayant» (Damien); «ils ont beaucoup d’humour» (Tania); «ça fait rire» (Martine). Le talent des auteurs force l’admiration: «je trouve que c’est bien» (Laure); «je trouve quand même que c’est pas mal, ce qu’ils font» (Nathan).
Mais l’attrait de l’émission vient également de son emprise sur la réalité. «Ils s’amusent des problèmes quotidiens», résume ainsi Sofiane. Cette manière ludique d’aborder l’actualité est au cœur du succès de l’émission. Au cours des entretiens, seule une élève a déclaré y être radicalement hostile.
Parfois, les émissions sont mêmes utilisées en classe. Des questions se posent donc: Y a-t-il une contribution des Guignols dans l’élaboration de la conscience politique des élèves? Peut-on considérer cette émission comme une instance de socialisation politique ou alors comme un programme qui contribue au cynisme politique? Vincent Tournier tente d’y répondre dans un article paru en août 2005 dans la Revue Française de Science Politique. Ces conclusions reposent sur deux enquêtes financées par l’IEP de Grenoble et le CISDP réalisées du 27 mai au 10 juin 2002 sur un échantillon de 1372 élèves scolarisés en troisième dans l’Isère, puis sur une seconde faite en mars 2004 auprès de 496 élèves de terminales de la région de Grenoble et enfin une partie qualitative reposant sur vingt entretiens semi directifs avec des collégiens de troisième de cette même région. Comme le précise l’auteur: «ces entretiens ne prétendent pas refléter l’ensemble des points de vue des jeunes, mais ils fournissent de bonnes indications sur les grandes tendances, sur les discours et les raisonnements les plus caractéristiques».
Enquête réalisée dans un établissement de l'Isère représentant le nombre d'élèves regardant les Guignolsde l'Info
Plusieurs indices montrent cependant que les Guignols peuvent constituer une base propice à des apprentissages de nature politique. A la question: «qui vous apporte des informations lors de l’élection présidentielle?», les collégiens ont répondu dans leur grande majorité, d’abord les parents, puis le journal télévisé et enfin les Guignols. Dans une certaine mesure, les Guignols permettraient une entrée de la politique par les personnalités.
Les Guignols donnent une vision très critique de la politique. Cette critique est repérée et appréciée par les jeunes; elle est même revendiquée comme faisant partie intégrante du processus démocratique, comme l’expression d’un droit fondamental. Mais paradoxalement, comme le souligne l’auteur, «ils paraissent bien peu soucieux d’appliquer cette critique à l’encontre des Guignols eux-mêmes». L’enquête montre, en effet, que la proportion de collégiens qui se déclarent «tout à fait d’accord» ou «plutôt d’accord» avec l’idée que la plupart des dirigeants sont corrompus, passe de 35% parmi ceux qui ne regardent jamais les Guignols à 52% parmi ceux qui regardent toutes les émissions. Ces données confirment donc l’idée que le suivi des Guignols s’accompagnerait d’une dégradation de l’image des dirigeants politiques. Paradoxalement, l’auteur souligne aussi, que le public des Guignols s’est fortement mobilisé dans les manifestations contre le Front national pendant l’entre deux tours en 2002. Dans sa conclusion, Vincent Tournier souligne entre autre, qu’il y a «de bonnes raisons de penser qu’une émission satirique comme les Guignols, loin d’être une simple occasion de divertissement, constitue une instance de socialisation dotée de sa propre efficacité. Les Guignols donnent du sens à l’actualité politique et participent à la structuration des représentations politiques de leurs spectateurs. Cependant, les jeunes qui ne bénéficient pas encore d’une longue expérience politique ne sont pas toujours en mesure de mettre en perspective les messages qu’ils reçoivent, d’où un certain risque de figer des représentations en cours de formation.»
On peut ainsi généraliser les travaux de Vincent Tournier sur les jeunes à toutes les personnes désintéressées de la politique ou qui ont du mal à être touchées par ce genre de sujet. En effet, selon un récent sondage, plus de 73% des personnes interrogées considèrent que les hommes politiques sont corrompus et ne leur font plus confiance. On peut donc assurer que les Guignols ont un rôle d'éducation politique sur un public désintéressé par celle-ci